Novembre 2023 : Cette page est en cours de création. Je vous ai déjà mis trois livres que j’ai beaucoup aimés.
Mais bien sûr, il y en a beaucoup d’autres ! Je complèterai au fur et à mesure ! 😉
Le Berger de l'Avent, de Gunnar Gunnarsson, chez Zulma
Oui j’ai posé mon livre dans la neige, je fais partie des lecteurs qui aiment que le livre « vive »… Mais je demande pardon à tous ceux qui font partie de l’autre team et qui prennent grand soin de l’objet.
Il s’agit d’un court roman d’une soixantaine de pages, d’un écrivain islandais.
« Comme chaque année début décembre, Benedikt se met en chemin avec ses deux fidèles compagnons, son chien Léo et son bélier Roc, avant que l’hiver ne s’abatte pour de bon sur les terres d’Islande. Ce qui compte avant tout pour ces trois arpenteurs au cœur simple, ce sont les moutons égarés qu’il fait ramener au bercail.
Ils avancent, toujours plus loin, de refuge en abri de fortune, dans ce royaume de neige où la terre et le ciel se confondent, avec pour seuls guides les rochers et les étoiles. En égaux ils partagent la couche et les vivres. Mais cette année, le blizzard furieux les prend en embuscade. »
Quelle pépite… J’ai rarement lu un texte aussi court et si puissant.
L’auteur nous embarque dans une épopée à travers les montagnes aux descriptions saisissantes, évoquant le ciel tour à tour accueillant et menaçant. Le lecteur est immergé dans une succession de paysages superbement retranscrits, on ressent le froid, la fatigue de Benedikt, l’angoisse de la tempête. En jouant sur les changements météorologiques, l’écrivain parvient avec brio à mettre le lecteur sous pression, davantage que le personnage principal, qui semble accepter sa destinée quoiqu’il advienne. L’anxiété nous pénètre petit à petit et ne nous lâche plus jusqu’au point final. J’ai eu l’impression de retenir mon souffle jusqu’au bout.
On soutient Benedikt par la pensée, on s’inquiète de ses choix, on aimerait prendre soin de lui comme il prend soin de ses bêtes. On se sent impuissant face à la force des éléments. Alors on n’a pas d’autre choix que de leur fait confiance à tous les trois. A cette « Sainte Trinité », comme ils sont identifiés dans ce roman. A cette relation forte qui les unit, à leurs caractères affirmés décrits par touche, qui se dessinent au fil des pages. Leur lien est aussi doux que le chemin est rude.
Et paradoxalement, c’est dans la solitude « humaine », à la recherche des bêtes, que Benedikt va rencontrer les hommes.
Cette histoire parle de détermination et de solidarité avec simplicité. C’est beau. C’est grandiose. C’est touchant. C’est enveloppant. C’est humain.
Alabama 1963, de Ludovic Manchette et Christian Niemiec
L’Alabama du début des années soixante, en pleine période de ségrégation raciale. Ce sont les histoires croisées d’Adela, femme de ménage noire et de Bud, détective blanc, qui se rencontrent autour de la disparition de petites filles noires. Je dirais qu’il est tout d’abord question de place dans ce récit. Celle qu’on n’a pas choisie (du côté des blancs ou du côté des noirs), celle avec laquelle on tâtonne (Adela auprès de ses employeurs et Bud auprès de ses anciens collègues), ou encore celle qu’on cherche à défendre (Adela en tant que chef de famille et Bud en tant que détective). Mais il est aussi question de valeur, de deuil, de résilience, de courage, de luttes (par rapport aux autres mais aussi pour soi-même), et bien sûr d’humanité.
Le lecteur est plongé dans une Amérique en transition, avec les consciences qui s’éveillent, les préjugés qui persistent, les révoltes… à travers des scènes de la vie quotidienne. J’ai aimé cette subtilité dans la façon de construire le récit, l’ambiance et l’atmosphère qui s’en dégagent, et cette intelligence avec laquelle les choses sont posées. Pas de caricature. Tout sonne juste.
J’ai particulière apprécié cheminer auprès des personnages principaux et constater leur évolution respective. Je me suis sentie proche d’eux, embarquée par leur enquête poussive. J’ai tout autant aimé les personnages secondaires, aux caractères bien singuliers. Quant aux dialogues, quel bonheur !
Cela faisait un moment que je n’avais pas lu un « page turner » comme celui-ci. J’ai adoré.
Ce roman est captivant, dôle, profond, révoltant, doux et incisif à la fois. FABULEUX.
Une petite mention également aux notes de bas de pages, qui éclairent le texte, avec parcimonie.
Lire ce roman car il est écrit à deux mains, et que c’est une sacrée prouesse !
Sale Bourge, de Nicolas Rodier, chez Flammarion
L’histoire en bref : Pierre se retrouve en garde à vue pour violences conjugales. Pierre a frappé lui aussi, comme il a été frappé enfant. Comment en est-il arrivé là ?
Dans son roman (dont j’ai adoré le titre et la couverture), Nicolas Rodier retrace l’histoire de Pierre, par bribes de souvenirs, pour amener le lecteur à comprendre comment son personnage principal a pu se retrouver au Tribunal pour violences conjugales. Le récit est construit comme un journal intime, à la première personne et au présent. Un peu à la façon de Thésée, qui remonte le fil d’Ariane pour retrouver son chemin, Pierre remonte dans ses premiers souvenirs pour suivre le fil de son histoire. Ainsi, le récit commence avec la scène des carottes râpées, choquante et révoltante, qui donne le ton du reste du roman.
On comprend alors dès le début contre quoi Pierre se débat. Contre toute cette violence du quotidien banalisée par cette famille bourgeoise. Contre la violence des autres, qui lui colle à la peau et devient peu à peu la sienne, malgré ses tentatives de la garder à distance. Cette violence devient comme un personnage à part entière tout au long du roman et se transforme peu à peu. Alors que celle de son entourage prend de moins en moins de place avec les années, la sienne s’accentue.
Pierre parle de sa propre violence mais n’évoque jamais de celle de sa femme Maud, beaucoup plus subtile et ambigüe. On se demande même s’il se rend compte qu’il s’agit là aussi de violence ordinaire, puisqu’elle est bien différente de celle qu’il a connue dans le cercle familial. Une phrase anodine jetée sur les braises, une attitude, un mot cinglant balancé avec le sourire. On ne sait plus ce qui est fait consciemment ou pas. Et on se perd en tant que lecteur, autant que Pierre…
Ce récit ressemble tellement à un témoignage et les détails sont si précis (sur les lieux notamment) que je me suis demandée à plusieurs reprises si c’était autobiographique. J’ai donc effectué quelques recherches et ce n’est pas le cas. L’auteur indique tout de même s’être inspiré de choses qu’il avait pu observer par le passé.
Cette histoire est venue me chercher dans les tripes : la violence dans la fratrie mais aussi la haine de l’autre, de la différence, la jouissance du sentiment de supériorité. Et je dois dire que même si c’est difficile à admettre, même si je condamne le geste de Pierre, j’ai éprouvé de l’empathie pour lui. Et ça, je dois dire que c’est quand même sacrément culotté comme pari de la part de l’auteur !
J’ai beaucoup aimé ce tour de force ! Bravo !